lundi 2 avril 2007

Presse - Le Point - 29 mars

"La corruption continue et on n'a pas les moyens de lutter contre elle"

Isabelle Prévost-Desprez fut juge d’instruction spécialisée dans les affaires financières. Elle a mis en examen Daniel Bouton, le PDG de la Société Générale, à perquisitionner à l’Assemblée nationale ou au journal L’Equipe dans un dossier connexe à l'affaire de dopage Cofidis. Aujourd’hui, elle publie avec Thierry Colombié, écrivain et spécialiste de l’économie criminelle, un roman dont l’héroïne est une juge d’instruction qui décrit le quotidien de la justice. Et le combat d'une femme.

Le Point : Les médias parlent peu de votre livre. Pensez-vous être victime d’un boycott pour la perquisition menée à l’Equipe ?
Isabelle Prévost-Desprez : C’est ce qu’on me dit. Si c’est vrai, c’est du corporatisme comme lorsque j’ai mis en examen un magistrat et que le lendemain, en arrivant au tribunal, mes collègues m’ont regardée de travers. J’ai fait mon métier. Que l’on interdise les perquisitions dans les médias, et j’appliquerai la loi. Dans mes instructions, je n’ai jamais cédé aux pressions. Pendant des années, je m’en suis pris plein la tête. Je n’ai pas eu mon avancement en temps normal, ni la légion d’honneur !
Le Point : N’enfreignez-vous pas vous même le secret de l’instruction en publiant ce livre ?
Non, ce n’est pas un roman à clef. Il s’agit d’expliquer notre système judiciaire en racontant des histoires. En tant que magistrat, j’ai envie de montrer la justice de l’intérieur. Comment elle fonctionne mais aussi dysfonctionne. Pendant une dizaine d'années, j'ai mis en examen des dirigeants de société et des hommes politiques. Aujourd'hui, je préside des comparutions immédiates et le week-end j’assume les permanences de juge des libertés et de la détention. Et Je peux vous dire qu’il existe une justice à deux vitesses même si ma conception, c'est d'appliquer la loi à tous de la même manière. D’un côté il faut se battre constamment contre les pressions pour réussir à sortir les dossiers financiers. De l’autre on met en place des procédures très rapides avec des dossiers parfois mal ficelés. Ceux qui tirent leur épingle du jeu sont toujours les mêmes : les justiciables qui peuvent se payer les meilleurs avocats, des experts. Les autres passent à la moulinette.
Le Point : Les magistrats n’ont-ils pas leur part de responsabilité ?
Oui quand nous acceptons sans broncher de siéger de 13 heures jusqu’à trois heures du matin. Et ce faisant nous confortons le système. S’il existait un vrai corporatisme entre magistrats, on devrait tous dire : à 21h c’est terminé et renvoyer les dossiers. Pour toute l’instruction à Nanterre, il y a seulement deux photocopieuses et un fax. La vraie réforme de la justice serait de lui donner les moyens.
Le Point : On parle moins d’affaires politico-financières. La corruption est-elle en baisse ?
Non, la corruption continue et l’on n’a pas les moyens de lutter contre. Depuis 2002, il y a moins d’affaires qui arrivent à l’instruction parce qu’elles sont écrémées par le parquet.
Le Point : En Italie, on parle de mafia. Pas en France.
Pourtant la mafia existe en France. L'héroïne va s'y confronter tout au long du roman. Des dossiers d’instruction l'ont parfaitement démontré. Mais ce n’est pas une grille de lecture admise.
Le Point : Comment avez-vous vécu l’affaire d’Outreau ?
Le juge Burgaud a servi de bouc émissaire. Pourquoi en France le juge d’instruction est-il devenu au fil des années le magistrat à éliminer ? Au même moment dans d’autres pays on découvre l’intérêt d’un magistrat indépendant dirigeant les policiers qui, eux, ne le sont pas.
Le Point : Vous avez l’image d’un juge dure. Avec ce livre, vous voulez vous faire aimer ?
Je ne demande pas à être aimé dans mon boulot. Il serait impudique de la part d’une magistrate qui a embastillé un grand nombre de personnes de se plaindre. Mais comme l’héroïne à la fin du livre, il m’arrive de connaître des moments de doutes et de grande fatigue Un jour par exemple j’ai convoqué un mis en examen dans une affaire de blanchiment. Cet homme venait de perdre sa fille d’une méningite mais voulait absolument être entendu. J’ai fait mon boulot même si c'était dur…
Propos recueillis par jean-Michel Décugis, Christophe Labbé et Olivia Recasens

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