lundi 4 juin 2007

Journal (2) : La suite au prochain épisode !

"Ne rêvez pas : à la fin de ce premier tome, on en est encore loin. Après ces longues pages, on en est juste aux inculpations et aux gardes à vue. Mme Prévost-Desprez romancière ne se hâte pas plus que Mme Prévost-Desprez magistrate. Cela dit, tant mieux. Pour une fois, on comprend quelque chose à tout ce grand cirque judiciaire qui échappe à tout le monde. Quant à la suite, elle viendra quand elle viendra. Désormais, avec les éditeurs, il faudra faire comme avec les juges : prendre patience..." Gilles Martin-Chauffier, plume de Paris-Match, concluait ainsi son article... La suite viendra quand elle viendra...
Prémonitoire ? Sans aucun doute ! Je voudrais, ici, saluer le courage et la ténacité de notre éditeur. Nous voilà donc parti pour de nouvelles aventures de Julie Cruze. L’action du Livre 2 se déroulera en 1998 et devrait aborder le délit d’initiés et le blanchiment d’argent en provenance d’associations et de fondations liées à… l’environnement. Prémonitoire ? Pourquoi pas… Julie Cruze, la « petite nouvelle », découvrira-t-elle les auteurs du crime de Palonian ? Arcadia sera-t-il de la danse ? Et que vont devenir les seconds rôles comme Olivier Moreau, le Kamikaze ou, mieux encore, Baudreau, celui que l’on surnomme dans les milieux autorisés « le Vertueux » ?

Les lecteurs du Livre 1 sont ici invités à exprimer leurs avis et critiques, constructives ou pas, et à faire part de leurs vœux pour le Livre 2. Nous serons très sensibles aux nouvelles idées des lecteurs et intégrerons, dans la mesure du possible, celles qui nous paraîtrons le mieux adapté à la dramaturgie du prochain épisode.

Parution prévu début 2008....

mardi 8 mai 2007

Justice : tout un roman (Serge Raffy, CanalObs)

Après Ruquier ("On n'est pas couchés", France 2), Giesbert, (Chez Fog, France 5) et Poivre d'Arvor (Place aux livres, Lci), voilà le dernier entretien (12') d'Isabelle Prévost-Desprez réalisé par Serge Raffy sur CanalObs :


http://tempsreel.nouvelobs.com/videos/index_recherche.php

vendredi 13 avril 2007

Presse - Paris Match - 12 avril 2007

Match Livres
Une femme de robe prend la plume !
Magazine:3021 du 12/4/2007


Isabelle Prévost-Desprez est magistrate. Pour son premier roman, une juge d’instruction se retrouve aux prises avec des dossiers sensibles. On a froid dans le dos quand elle s’aventure au pôle... financier.
« Le secret d’Arcadia », d’Isabelle Prévost-Desprez et Thierry Colombié, éd. Fayard, 373 pages, 20 euros.

Les juges, en France, n’ont pas de chance. D’abord, ils sévissent dans le pays d’Alexandre Dumas et de Victor Hugo. A 15 ans, depuis des générations, on a déjà tous pris parti pour le comte de Monte-Cristo et pour Jean Valjean contre les magistrats qui les persécutent. Qui veut faire rire autour d’une table prend un ton dramatique et profère : « Je fais toute confiance à la justice de mon pays. » Succès garanti. Ensuite, il y a pire : les Français n’ont aucune envie d’assister au triomphe des incorruptibles. C’est que nous sommes aussi les compatriotes de Robespierre. En un an de Terreur, il a réussi à nous dégoûter ad vitam aeternam des purs. Le régime monarchique était corrompu jusqu’à la moelle mais, pour finir, ce brave Louis XVI était bien débonnaire. Résultat : la France se méfie de sa justice, ne comprend d’ailleurs pas un traître mot à son charabia et pardonne toujours aux petits malins qui se moquent des règles. Comparez un peu les carrières de Mendès France et de Rocard à celles de Mitterrand et de Chirac. Au fond, on adore les gens « ficelles » qui embrouillent leur monde et leurs affaires. C’est dire si les juges ont du pain sur la planche quand ils nous expliquent la grandeur de leur métier et le sens de leur mission. A leur place, je n’essayerais même pas. Ce n’est pas ce qu’a pensé Isabelle Prévost-Desprez.On ne la connaît pas comme romancière mais comme « petit juge ». Pendant des années, on a lu son nom à propos des affaires qu’elle instruisait au pôle financier de Paris. Avec elle, je vous préviens tout de suite, on n’est pas dans une série télévisée de T.f.1. C’est du sérieux. Elle sait de quoi elle parle. Elle est chez elle en compagnie des délinquants en col blanc, des goinfres du Cac 40, des faux facturiers et tutti quanti. Personne ne l’a jamais prise à la légère. Mais voilà qu’elle choisit de lever le voile sur son métier. En nous le « décryptant » sous le masque du roman. Avec Thierry Colombié, un écrivain, elle sort donc « Le secret d’Arcadia », un véritable thriller financier et judiciaire. Je vous préviens : il faut s’accrocher. Madame a lu son John Grisham, nous avons donc des lieux, des personnages, des flirts, des morts suspectes et tout le b.a.-ba du bon polar à l’américaine, mais on affronte un dossier d’instruction monumental. Et on le fait comme elle : étape par étape et en tâtonnant. C’est très instructif sur le fonctionnement de la machine judiciaire. D’abord la lettre anonyme, puis les perquisitions, puis l’ébauche d’une vaste fraude à la fausse facture, puis le démontage d’un large réseau de corruption... C’est d’une complexité folle, et à la page 373, au lieu d’un point final, on a droit à « A suivre...». Comme c’est passionnant, l’héroïne a beau être parfois midinette, on ne lâche pas le récit de ses déboires. Les coups bas du procureur, les bons flics et les ripoux, l’aide des journalistes et leurs coups de poignard, les tuyaux précieux et les fausses pistes. On lit ce récit et on comprend pourquoi il faut toujours des années pour voir enfin apparaître dans un tribunal les escrocs de haut vol dont la presse a révélé les noms depuis des lustres. Ne rêvez pas : à la fin de ce premier tome, on en est encore loin. Après ces longues pages, on en est juste aux inculpations et aux gardes à vue. Mme Prévost-Desprez romancière ne se hâte pas plus que Mme Prévost-Desprez magistrate. Cela dit, tant mieux. Pour une fois, on comprend quelque chose à tout ce grand cirque judiciaire qui échappe à tout le monde. Quant à la suite, elle viendra quand elle viendra. Désormais, avec les éditeurs, il faudra faire comme avec les juges : prendre patience. « Le secret d’Arcadia », d’Isabelle Prévost-Desprez et Thierry Colombié, éd. Fayard, 373 pages, 20 euros.
Auteur : Gilles Martin-Chauffier

mardi 10 avril 2007

Coulisses, Cour et Jardin ou le journal de Thierry Colombié

9 avril
J'aurai du écrire les premières pages de ce journal dès le 1er mars, date du "service de presse" ou, pour les profanes, de l'envoi de dizaines d'exemplaires aux journalistes, membres de divers jury et autres leaders d'opinion. Et oui, tout se fabrique...
Le lecteur de ce journal aurait alors appris, même s'il n'est pas dupe, qu'un livre sur trois n'arrivent pas à destination, que certains journalistes n'ouvrent même pas le livre et le revendent aussi vite pour s'arrondir la fin de l'année - ou se payer l'apéro de midi - , et que le boulot d'attaché(e) de presse est danstesque. Surtout lors d'une campagne présidentielle, "Promo" oblige...
Le lecteur de ce journal, même s'il est ni dupe, ni naïf, aurait aussi appris que le livre - ou plutôt son auteur "dame" - a été victime d'un effet représailles de la part de quelques journalistes d'investigation, ceux-là même qui rendent compte, à tord ou à raison, à Cour ou Jardin, de l'instruction des "grands juges"... Pourquoi ? Car Isabelle Prévost-Desprez a perquisitionné la rédaction de l'Equipe, il y a si longtemps que personne ne s'en souvient... Le lecteur aurait alors suivi toutes les étapes que votre serviteur a du suivre, un poil stressé, pour retrouver les incendiaires et leur faire comprendre que chacun fait son boulot... D'où l'article dans Le Point et la première question, sublimissime...
Le lecteur de ce journal aurait alors compris mon "ouf" de soulagement en lisant, enfin, un "papier" dans la presse nationale quotidienne même si le journaliste a omis de citer le titre... Ce que les lecteurs du journal n'ont pas manqué de relever...

Vous comprendrez donc, après avoir lu ce petit résumé, que les auteurs que nous sommes n'ont plus besoin d'imaginer les prochaines scènes du livre 2 ; Et réfléchissez dorénavant à l'arme fatale de tout pouvoir que détient un chef, petit ou grand, surtout s'il fait partie d'une coterie d'or et d'argent... Vous avez trouvé ? Réponse dans quelques jours...

jeudi 5 avril 2007

Presse - Libération (Portrait) - 5 avril 2007

La justifière
Isabelle Prévost-Desprez, 47 ans, ancien juge d'instruction au pôle financier. Que devient-on après avoir poursuivi les banques et les marchands de canons ? On y revient via un roman.

Par Luc LE VAILLANT

Une cible comme il s'en accroche aux murs des stands de tir. Dix cartouches à quinze mètres, deux impacts. Et les commentaires manuscrits de ses gardes du corps d'alors : «Trop fort... Vous êtes la meilleure, madame.» Démenti amusé et immédiat d'Isabelle Prévost-Desprez : «Je n'ai pas mis une seule balle dans le mille. Je suis miro. Je raterais un éléphant dans un couloir.» Peut-être, mais l'affichage de ce souvenir dans le bureau de l'ex-juge d'instruction du pôle financier qui s'intéressa aux banques blanchisseuses d'argent ou aux vendeurs d'armes en Angola, raconte plusieurs choses sur ses colères et ses angoisses. 1) Vous pouvez être mise en joue quand vous rendez la justice et que vous égratignez des puissances (banques, francs-maçons, juifs traditionalistes). 2) Rien ne vous empêche de vous défendre et de cogner à votre tour.
On est chez elle, à Paris, au coeur du quartier préféré de la bourgeoisie intellectuelle. Rue Gay-Lussac, code d'entrée : 1968, évidemment. Son accueil est l'exact inverse de ce à quoi on s'attendait. Chaleureux, enjoué, prolixe, à mille lieues de sa réputation de procédurière rigide et d'embastilleuse sans états d'âme, à des années-lumière de la prudence revêche et du quant-à-soi suspicieux qu'on lui imaginait. Le photographe est déjà dans la place et elle papillonne alentour, masquant son inquiétude de s'exposer derrière un pépiement de volière. De ses Flandres natales, elle a gardé l'oeil bleu et le cheveu blond, et aussi cette silhouette généreuse de bonne hôtesse, qui ne craint ni les rires des kermesses à la Rembrandt ni la familiarité des drôles de paroissiens.
Son père était médecin généraliste dans le pays minier. Il recevait à domicile et il arrivait à l'aînée de ses quatre filles de faire attendre les patients, de rassurer les affolés, de transmettre les mauvaises nouvelles. Elle en a gardé une compréhension de la chose humaine mais aussi une sociabilité mélangeuse de pluie, de beau temps et d'important. Au vol, on saisit que «le bleu» est sa couleur préférée, qu'elle a entendu sa «copine» (ironie) Deneuve en audition, et surtout qu'elle sourit toujours «même dans les moments très durs, manière de contrôler la situation» . Même mélange des genres parmi ses CD : Mozart, Chopin, Bénabar, Delerm, Axelle Red. Pour les livres, il y a les classiques : Balzac, Yourcenar, Tournier. Et les polars, qu'elle «dévore à l'égal du chocolat» , Mankell et, surtout, Grisham. Sa référence, son maître.
Elle vient de publier un roman qui, via la fiction, lui permet de revenir sur les affaires qu'elle débusqua et d'expliquer les difficultés de sa fonction. A l'égal de ses pairs (Halphen, Joly, Montgolfier), elle peut bien craindre «la médiatisation» , elle passe par l'écrit pour se justifier, se faire aimer. Son héroïne se nomme Julie Cruze et lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Autoportrait par Julie interposée : elle serait travailleuse, lucide, déterminée, sachant anticiper et préparant ses auditions, tête de mule et ne se plaignant jamais. Thierry Colombié, son coauteur, y ajoute «rigueur, ténacité, goût pour l'adversité, refus de baisser les bras, et hargne si on l'emmerde trop». Furieux d'être mis en cause, un banquier avait peint, lui, le versant strictement inverse. Il la décrivait comme «une bourgeoise ni jeune ni laide», comme «une jeune femme nerveuse, psychologiquement instable, incapable de sérénité». Et il insistait : «Ce n'est pas un juge, mais un adversaire. Elle n'instruit pas, elle accuse. Elle ne prouve pas, elle invective.»
Il faut dire qu'Isabelle Prévost-Desprez s'est lancée sans malice particulière dans des combats qui ont dérangé lobbies, corporations ou communautés. Et pas les moins protégés... Le nom de ses batailles : Sentier 1 et 2, Angolagate, mairie de Paris, COB, Ceccaldi-Reynaud. La liste de ses adversaires : Daniel Bouton (patron de la Société générale), Gérard Longuet, Jean-Christophe Mitterrand, Charles Pasqua, Jean-Charles Marchiani, etc. Quant à la manière, la dame ne fait pas dans la dentelle. Elle a le mandat de dépôt «sans affect», l'ordonnance de renvoi cinglante et le goût du bras de fer avec le parquet étouffeur ou la défense dilatoire. Elle dit : «Je préfère m'en prendre plein la gueule que de négocier.» Il y a chez elle comme une bienveillance naturelle qui se métamorphose en vindicte agressive sitôt qu'on vient à lui manquer ou qu'on tente de la déstabiliser. En Jeanne d'Arc ingénue, elle a eu la surprise de croiser bien des francs-maçons, dans le domaine politico-financier. D'autant plus radicale que son affranchissement fut tardif, elle reprendrait volontiers le mot d'un de ses officiers de police judiciaire : «Tous les frères n'étaient pas nos clients, mais presque tous nos clients étaient des frères.» Désormais, elle pense que juges et policiers francs-maçons doivent se déclarer, afin que «le clan cesse d'être plus important que l'individu» . Cette chrétienne d'éducation et de conviction, «en désaccord sur bien des points avec la doctrine apostolique et romaine» s'est aussi fait traiter d' «antisémite» pour avoir incarcéré un rabbin. Mais, cette mère poule de trois grands adolescents a surtout vu rouge quand, au lycée, l'un de ses petits a subi par ricochet la même mise au ban. Reste que c'est avec les banques que l'empoignade fut la plus rude. Lobbying, campagnes de presse, manoeuvres législatives. Depuis, elle déteste l'arrogance de cette caste. L'ironie veut que son polytechnicien de mari soit banquier d'affaires. A l'époque, il lui disait : «Tu as fait avancer la lutte contre le blanchiment.» Depuis, ils se sont séparés.
Elle voulait être médecin, avant de voir Simone Signoret dans Madame le juge . Auditeur de justice, puis étudiante de Bredin et de Badinter, elle ne rêvait que d'une chose : être juge d'instruction. Elle le fut au coeur du saint des saints, à la galerie financière, aux côtés de Joly, de Courroye, de Van Ruymbeke. Elle ne l'est plus, elle est vice-présidente de tribunal à Nanterre. L'avancement dans la carrière comme la lassitude naturelle ont leur part dans ce renoncement. Mais, c'est aussi parce que les lois Perben et Outreau ont torpillé la fonction de juge d'instruction. Désormais, le pouvoir appartient au parquet ou au siège. Va pour le siège, car elle n'a pas renoncé à en découdre avec la délinquance financière.
Elle refuse de faire allégeance à Sarkozy, comme certains hiérarques qui furent longtemps chiraquiens et changent désormais de monture. Mais, elle refuse aussi de défendre la juge sanctionnée pour avoir choisi Royal. Elle répète : «Un magistrat ne doit pas exprimer ses opinions.» Elle ne s'y risquera pas.
En la matière, peut-être faut-il écouter sa mère, qui dit : «Pour Isabelle, un jupon a toujours raison.» La demoiselle était suffragette et argumentait contre son père antiavortement. Là, elle prétend que les femmes sont plus difficiles à interroger que les hommes, qu'elles ne se laissent pas prendre au jeu de la séduction, quand ces pauvres pommes de bonhommes se coucheraient à la moindre flatterie. Sa conclusion : «Une femme est plus courageuse qu'un homme.» Ce qui fleure bon les truismes de l'actuel sexisme à rebours. De là à renseigner sur ses inclinations politiques du moment...

Isabelle Prévost-Desprez en 7 dates 12 juillet 1959 Naissance à Lille. 1983 Entrée à l'Ecole nationale de magistrature. 1984 Substitut au procureur de Lille. 1988 Substitut au procureur de Paris. 1992 Juge d'instruction à Paris chargée de la «délinquance astucieuse». 1998 Juge d'instruction au pôle financier de Paris. Octobre 2003 Vice-présidente au tribunal de Nanterre. Mars 2007 Publication de son premier roman "Le secret d'Arcadia"

lundi 2 avril 2007

Presse - Le Point - 29 mars

"La corruption continue et on n'a pas les moyens de lutter contre elle"

Isabelle Prévost-Desprez fut juge d’instruction spécialisée dans les affaires financières. Elle a mis en examen Daniel Bouton, le PDG de la Société Générale, à perquisitionner à l’Assemblée nationale ou au journal L’Equipe dans un dossier connexe à l'affaire de dopage Cofidis. Aujourd’hui, elle publie avec Thierry Colombié, écrivain et spécialiste de l’économie criminelle, un roman dont l’héroïne est une juge d’instruction qui décrit le quotidien de la justice. Et le combat d'une femme.

Le Point : Les médias parlent peu de votre livre. Pensez-vous être victime d’un boycott pour la perquisition menée à l’Equipe ?
Isabelle Prévost-Desprez : C’est ce qu’on me dit. Si c’est vrai, c’est du corporatisme comme lorsque j’ai mis en examen un magistrat et que le lendemain, en arrivant au tribunal, mes collègues m’ont regardée de travers. J’ai fait mon métier. Que l’on interdise les perquisitions dans les médias, et j’appliquerai la loi. Dans mes instructions, je n’ai jamais cédé aux pressions. Pendant des années, je m’en suis pris plein la tête. Je n’ai pas eu mon avancement en temps normal, ni la légion d’honneur !
Le Point : N’enfreignez-vous pas vous même le secret de l’instruction en publiant ce livre ?
Non, ce n’est pas un roman à clef. Il s’agit d’expliquer notre système judiciaire en racontant des histoires. En tant que magistrat, j’ai envie de montrer la justice de l’intérieur. Comment elle fonctionne mais aussi dysfonctionne. Pendant une dizaine d'années, j'ai mis en examen des dirigeants de société et des hommes politiques. Aujourd'hui, je préside des comparutions immédiates et le week-end j’assume les permanences de juge des libertés et de la détention. Et Je peux vous dire qu’il existe une justice à deux vitesses même si ma conception, c'est d'appliquer la loi à tous de la même manière. D’un côté il faut se battre constamment contre les pressions pour réussir à sortir les dossiers financiers. De l’autre on met en place des procédures très rapides avec des dossiers parfois mal ficelés. Ceux qui tirent leur épingle du jeu sont toujours les mêmes : les justiciables qui peuvent se payer les meilleurs avocats, des experts. Les autres passent à la moulinette.
Le Point : Les magistrats n’ont-ils pas leur part de responsabilité ?
Oui quand nous acceptons sans broncher de siéger de 13 heures jusqu’à trois heures du matin. Et ce faisant nous confortons le système. S’il existait un vrai corporatisme entre magistrats, on devrait tous dire : à 21h c’est terminé et renvoyer les dossiers. Pour toute l’instruction à Nanterre, il y a seulement deux photocopieuses et un fax. La vraie réforme de la justice serait de lui donner les moyens.
Le Point : On parle moins d’affaires politico-financières. La corruption est-elle en baisse ?
Non, la corruption continue et l’on n’a pas les moyens de lutter contre. Depuis 2002, il y a moins d’affaires qui arrivent à l’instruction parce qu’elles sont écrémées par le parquet.
Le Point : En Italie, on parle de mafia. Pas en France.
Pourtant la mafia existe en France. L'héroïne va s'y confronter tout au long du roman. Des dossiers d’instruction l'ont parfaitement démontré. Mais ce n’est pas une grille de lecture admise.
Le Point : Comment avez-vous vécu l’affaire d’Outreau ?
Le juge Burgaud a servi de bouc émissaire. Pourquoi en France le juge d’instruction est-il devenu au fil des années le magistrat à éliminer ? Au même moment dans d’autres pays on découvre l’intérêt d’un magistrat indépendant dirigeant les policiers qui, eux, ne le sont pas.
Le Point : Vous avez l’image d’un juge dure. Avec ce livre, vous voulez vous faire aimer ?
Je ne demande pas à être aimé dans mon boulot. Il serait impudique de la part d’une magistrate qui a embastillé un grand nombre de personnes de se plaindre. Mais comme l’héroïne à la fin du livre, il m’arrive de connaître des moments de doutes et de grande fatigue Un jour par exemple j’ai convoqué un mis en examen dans une affaire de blanchiment. Cet homme venait de perdre sa fille d’une méningite mais voulait absolument être entendu. J’ai fait mon boulot même si c'était dur…
Propos recueillis par jean-Michel Décugis, Christophe Labbé et Olivia Recasens