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Une femme de robe prend la plume !
Magazine:3021 du 12/4/2007
Isabelle Prévost-Desprez est magistrate. Pour son premier roman, une juge d’instruction se retrouve aux prises avec des dossiers sensibles. On a froid dans le dos quand elle s’aventure au pôle... financier.
« Le secret d’Arcadia », d’Isabelle Prévost-Desprez et Thierry Colombié, éd. Fayard, 373 pages, 20 euros.
Les juges, en France, n’ont pas de chance. D’abord, ils sévissent dans le pays d’Alexandre Dumas et de Victor Hugo. A 15 ans, depuis des générations, on a déjà tous pris parti pour le comte de Monte-Cristo et pour Jean Valjean contre les magistrats qui les persécutent. Qui veut faire rire autour d’une table prend un ton dramatique et profère : « Je fais toute confiance à la justice de mon pays. » Succès garanti. Ensuite, il y a pire : les Français n’ont aucune envie d’assister au triomphe des incorruptibles. C’est que nous sommes aussi les compatriotes de Robespierre. En un an de Terreur, il a réussi à nous dégoûter ad vitam aeternam des purs. Le régime monarchique était corrompu jusqu’à la moelle mais, pour finir, ce brave Louis XVI était bien débonnaire. Résultat : la France se méfie de sa justice, ne comprend d’ailleurs pas un traître mot à son charabia et pardonne toujours aux petits malins qui se moquent des règles. Comparez un peu les carrières de Mendès France et de Rocard à celles de Mitterrand et de Chirac. Au fond, on adore les gens « ficelles » qui embrouillent leur monde et leurs affaires. C’est dire si les juges ont du pain sur la planche quand ils nous expliquent la grandeur de leur métier et le sens de leur mission. A leur place, je n’essayerais même pas. Ce n’est pas ce qu’a pensé Isabelle Prévost-Desprez.On ne la connaît pas comme romancière mais comme « petit juge ». Pendant des années, on a lu son nom à propos des affaires qu’elle instruisait au pôle financier de Paris. Avec elle, je vous préviens tout de suite, on n’est pas dans une série télévisée de T.f.1. C’est du sérieux. Elle sait de quoi elle parle. Elle est chez elle en compagnie des délinquants en col blanc, des goinfres du Cac 40, des faux facturiers et tutti quanti. Personne ne l’a jamais prise à la légère. Mais voilà qu’elle choisit de lever le voile sur son métier. En nous le « décryptant » sous le masque du roman. Avec Thierry Colombié, un écrivain, elle sort donc « Le secret d’Arcadia », un véritable thriller financier et judiciaire. Je vous préviens : il faut s’accrocher. Madame a lu son John Grisham, nous avons donc des lieux, des personnages, des flirts, des morts suspectes et tout le b.a.-ba du bon polar à l’américaine, mais on affronte un dossier d’instruction monumental. Et on le fait comme elle : étape par étape et en tâtonnant. C’est très instructif sur le fonctionnement de la machine judiciaire. D’abord la lettre anonyme, puis les perquisitions, puis l’ébauche d’une vaste fraude à la fausse facture, puis le démontage d’un large réseau de corruption... C’est d’une complexité folle, et à la page 373, au lieu d’un point final, on a droit à « A suivre...». Comme c’est passionnant, l’héroïne a beau être parfois midinette, on ne lâche pas le récit de ses déboires. Les coups bas du procureur, les bons flics et les ripoux, l’aide des journalistes et leurs coups de poignard, les tuyaux précieux et les fausses pistes. On lit ce récit et on comprend pourquoi il faut toujours des années pour voir enfin apparaître dans un tribunal les escrocs de haut vol dont la presse a révélé les noms depuis des lustres. Ne rêvez pas : à la fin de ce premier tome, on en est encore loin. Après ces longues pages, on en est juste aux inculpations et aux gardes à vue. Mme Prévost-Desprez romancière ne se hâte pas plus que Mme Prévost-Desprez magistrate. Cela dit, tant mieux. Pour une fois, on comprend quelque chose à tout ce grand cirque judiciaire qui échappe à tout le monde. Quant à la suite, elle viendra quand elle viendra. Désormais, avec les éditeurs, il faudra faire comme avec les juges : prendre patience. « Le secret d’Arcadia », d’Isabelle Prévost-Desprez et Thierry Colombié, éd. Fayard, 373 pages, 20 euros.
Auteur : Gilles Martin-Chauffier
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